L’Association Cultuelle Orthodoxe de Lourdes (Paroisse de la Sainte Rencontre de Notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ) fait partie du Vicariat Sainte Marie de Paris et Saint Alexis d’Ugine placé sous la direction spirituelle et l’autorité administrative, pastorale et morale du Métropolite de France (l’Evêque dirigeant) qui relève du Patriarcat Œcuménique de Constantinople
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СЛОВО О ВЕРЕ
Pour la vie du monde. Vers un ethos social de l’Église orthodoxe :
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Antoine Arjakovsky,
Membre de la Commission théologique du Vicariat
Congrès du Vicariat Sainte Marie de Paris et Saint Alexis d’Ugine à Chauny (26-29 mai 2022)
Introduction
C’est un plaisir d’intervenir aux Rencontres du Vicariat comme membre de la Commission théologique du vicariat. J’ai l’espoir en effet que l’évolution des institutions de l’Eglise orthodoxe en France et dans le monde va permettre aux laïcs de pouvoir être enfin entendus. Je rappelle que, lors de la préparation du dernier concile pan-orthodoxe, rares furent les chrétiens orthodoxes de France à avoir été impliqués dans la préparation des documents. Je n’ai pu pour ma part me rendre en Crète que comme journaliste. Pourtant le renouveau théologique de l’Eglise orthodoxe au XXe siècle est bien venu de l’Ecole de Paris. Ce sont des théologiens comme le père Schmemann qui ont insisté sur le fait que chaque chrétien est appelé à devenir par le baptême roi, prêtre et prophète.
Cette redécouverte de la vocation prophétique, sacerdotale et royale de tout baptisé est venue de la pensée personnaliste, sophiologique et ternaire du père Serge Boulgakov qui a su montrer dans son livre de 1932 L’Agneau de Dieu que le Christ avait montré le chemin de la conscience de soi divino-humaine au cours des 3 grandes étapes de sa vie : le cheminement prophétique à partir de son baptême et de sa lutte contre les démons au désert (Luc 3), puis la voie sacerdotale à partir du dernier repas de Jésus avec ses disciples (Jn 17), enfin la consécration royale après sa résurrection et l’envoi de ses disciples auprès de toutes les nations (Mat 28). Or le Christ invite chaque personne, l’ensemble du peuple de Dieu, à parcourir le même cheminement, à participer avec lui et en lui à l’avènement du Royaume de Dieu sur la terre. Dans l’Apocalypse il est bien marqué que le Christ a fait de nous des « rois et prêtres de Dieu et de son Père » (Ap 1.6).
Ceci implique que dans l’Eglise les fidèles sont tous invités à obéir à la volonté de Dieu, qu’ils soient ordonnés ou pas. Il y a tant de façons d’être rois, prêtres et prophètes, c’est-à-dire de vivre en Christ dans l’Esprit. St Paul dans son épître aux Corinthiens dit qu’il y a ceux qui disposent des dons de guérison, d’autres qui savent proférer des discours de science, il y a aussi le don des langues etc. Dans tous les cas il n’y a pas d’un côté ceux qui ordonnent et de l’autre ceux qui obéissent. Il y a une communion d’amour où ceux qui ont reçu la grâce du sacrement de l’ordination diaconale, presbytérale, épiscopale sont appelés à servir l’ensemble du peuple de Dieu dans la même obéissance au Christ, et où chaque personne, même non baptisée, peut participer à la vie du Royaume si elle reconnaît le Christ comme Fils de Dieu (Lc, 23, 42). J’ajoute que, comme le montre l’évangile du centurion (Mat. 8, 5-13), l’obéissance, dans sa compréhension chrétienne, n’est pas synonyme de soumission aveugle. Elle peut être critique, et donc beaucoup plus puissante, parce que, précisément, elle est le fruit de l’amour.
Or le problème, relevé tout à l’heure avec tristesse par le père Alexis Struve, est que l’Eglise qui se définit aujourd’hui comme orthodoxe est malade. Le concile panorthodoxe en Crète a eu le courage de dénoncer la poussée du fondamentalisme en son sein. Mais la situation s’est encore aggravée depuis 2016. Il suffit de parler du schisme qui existe entre le patriarcat de Moscou et celui de Constantinople. On doit aussi reconnaître que l’hérésie du « monde russe » que propage le patriarcat de Moscou est à l’origine de la guerre russo-ukrainienne commencée en 2014 par l’annexion de la Crimée par la Russie et qui, depuis son extension le 24 février 2022, a déjà causé dans les deux camps plus de 60 000 morts, plus de 180 000 blessés et poussé à l’exil à l’étranger plus de 6 millions d’Ukrainiens. Il faut aussi reconnaître l’échec de la conciliarité orthodoxe puisque le concile panorthodoxe s’est tenu sans la participation de laïcs et n’a réuni que 10 Eglises sur 14. Enfin le fait que la réunion récente en Crète, préparatoire à l’assemblée œcuménique du COE en Allemagne ne se soit pas conclue par un texte de jugement de l’attitude scandaleuse du patriarcat de Moscou montre que le mal qui affecte l’Eglise russe touche en réalité l’ensemble du monde orthodoxe.
Commentaire critique des 2 paragraphes 50 et 51 du texte
Le texte «Pour la vie du monde. Vers un ethos social de l’Eglise orthodoxe » représente un progrès dans la prise de conscience que l’Eglise est divino-humaine, qu’elle n’a pas qu’une nature divine et éternelle, qu’elle a aussi une mission dans l’histoire qui consiste à préparer l’avènement du Royaume de Dieusurlaterre. C’esttoutlesensdelaprièrequeleChristaapprisàsesdisciples et qui se manifeste dans la vision finale de l’apôtre Jean dans le livre de la Révélation. L’Eglise d’Orient s’est longtemps contentée d’une lecture liturgique des Béatitudes, principalement en raison d’une fausse théologie du politique instaurée en grande partie par Eusèbe de Césarée qui faisait de l’empereur le représentant de Dieu le Père sur la terre. Elle a mis du temps avant de se souvenir que sa mission était bien de mettre en œuvre les Béatitudes dans la vie du monde. Les vérités sont parfois dures à admettre mais, comme le Christ l’a appris à ses disciples, « la vérité vous rendra libre » (Jn 8,32).
En ce sens le texte de 2019, préparé par certains théologiens anglo-saxons et aussi par mon ami le père Nicolas Kazarian, améliore le texte de l’Eglise russe de l’an 2000 et représente un progrès dans la conscience collective orthodoxe. Mais, à mon sens, il ne va pas assez loin dans la redécouverte de la double nature humaine et divine de l’Eglise, ce qui l’empêche d’adopter une position critique à l’égard du monde orthodoxe et donc de réfléchir à des voies possibles de réforme des Eglises orthodoxes.
Car, dans le texte qu’il nous est donné de commenter, il y a un problème fondamental à la source de tous les malheurs de notre Eglise. Il est présenté au chapitre 50 que je cite :
§50 L'Église orthodoxe se comprend comme l'Église une, sainte, catholique et apostolique, dont parle le symbole de Nicée- Constantinople. Elle est l'Église des Conciles, dans la continuité du Concile de Jérusalem (Ac 15, 5-29) jusqu'à nos jours par son charisme et sa mission [47]. Il ne lui manque rien d'essentiel à la pleine catholicité et à la pleine unité du corps du Christ, et elle possède la plénitude de la grâce sacramentelle, magistérielle et pastorale.
De quelle Eglise orthodoxe parle-t-on ici ? De celle qui est incapable de se réunir en concile depuis des siècles alors qu’elle se présente comme héritière des conciles œcuméniques ? Et pourquoi, dans l’Eglise qui se désigne comme orthodoxe, cette tradition des conciles œcuméniques s’est-elle tarie ? Et comment se satisfaire d’une rupture avec des sièges aussi importants que Rome, Genève ou Londres et expliquer tranquillement qu’il ne manque rien d’essentiel à sa pleine catholicité ?! La vérité, il faut le reconnaître, c’est que cette approche est la marque d’un orgueil monophysite qui ne voit rien de la réalité historique des Eglises engluées dans leurs misères et leurs divisions.
Comment le texte justifie-t-il une telle prétention ? En citant le père Georges Florovsky, comme si celui qui fut exclu de facto de l’Institut saint Serge en 1938, était devenu un père de l’Eglise. Voici la citation qui est faite de lui :
Comme l'a écrit le père Georges Florovsky : « Les orthodoxes sont amenés à déclarer que la seule caractéristique ‘spécifique’ ou ‘distinctive’ de leur propre position au sein de la ‘chrétienté divisée’ est le fait que l'Église orthodoxe est essentiellement identique à l'Église de tous les âges, et même à l'’Église primitive’. En d'autres termes, elle n'est pas une Église, mais l'Église. C'est une revendication formidable, mais juste et équitable. Il y a ici plus qu'une continuité historique ininterrompue, ce qui est d'ailleurs tout à fait évident. Il y a avant tout une identité spirituelle et ontologique ultime, la même foi, le même esprit, le même ethos. Et cela constitue la marque distinctive de l'orthodoxie : la foi apostolique, c'est la foi des Pères, la foi orthodoxe, cette foi qui a établi l'univers » [48].
Affirmer que l’Eglise orthodoxe aujourd’hui est essentiellement identique à l’Eglise de tous les âges est faux, d’une part parce que nous voyons bien que notre Eglise ne vit pas comme celle qui nous est décrite dans le livre des Actes des apôtres, et d’autre part car cette Eglise est aujourd’hui divisée en une quantité d’Eglises qui ne sont plus en communion. Mgr Jean Zizioulas a rappelé que nos pères dans la foi considéraient l’Eglise de Rome comme une Eglise même après le schisme de 1054. Nous reconnaissons aujourd’hui au siège de Rome sa dignité ecclésiale et pourtant il n’y a pas de communion entre Rome et Constantinople. Et nous voudrions croire que notre Eglise est identique à celle de tous les âges ! Cette référence à l’article de 1960 de Florovsky n’est que la marque du monophysisme de son auteur incapable de reconnaître que l’Eglise est divino- humaine. Le père Schmemann était bien plus conscient pour sa part que l’Eglise avait été considérablement blessée dès le premier concile de Nicée par les interventions de l’empereur dans la vie de l’Eglise ce qu’il a appelé l’avènement du césaro-papisme, avec en particulier le rôle tragique joué par Eusèbe de Césarée qui a fait de Constantin plus qu’un demi Dieu, le représentant unique de Dieu le Père sur la terre.
Il est difficile de rendre compatible un engagement œcuménique sincère avec un tel orgueil monophysite. C’est pourtant ce que s’efforce de faire le texte.
§51 L'Église orthodoxe cherche sincèrement à rétablir l’unité avec tous les chrétiens, à partager les richesses spirituelles de sa tradition avec tous ceux qui cherchent le visage du Christ par amour et désir. En outre, elle comprend que les formes culturelles particulières de la Tradition ne doivent être confondues ni avec la véritable autorité apostolique ni avec la grâce sacramentelle qui lui a été confiée. L'Église recherche un dialogue soutenu avec les chrétiens d'autres communions afin de leur offrir une pleine compréhension de la beauté de l'orthodoxie, et non pour les convertir à un quelconque « byzantinisme » culturel. Elle le fait aussi pour apprendre des expériences des chrétiens du monde entier, pour comprendre les nombreuses expressions culturelles du christianisme et pour rechercher l'unité entre tous ceux qui invoquent le nom de Jésus. L'orthodoxie ne peut rester silencieuse et doit tendre la main et appeler tous les chrétiens à la plénitude de la foi : « L'Église orthodoxe a la mission et le devoir de transmettre et de prêcher toute la vérité contenue dans la Sainte Écriture et la Sainte Tradition, qui confère également à l'Église son caractère catholique. La responsabilité de l'Église orthodoxe pour l'unité ainsi que sa mission œcuménique ont été articulées par les Conciles œcuméniques. Ceux-ci ont souligné tout particulièrement le lien indissoluble entre la vraie foi et la communion sacramentelle. » [49]
La méthode employée est très discutable car, d’un côté, elle parle de l’existence de « chrétiens » mais, de l’autre, ceux-ci sont hors de l’Eglise une. De plus elle se positionne de façon anhistorique comme si elle était l’unique héritière de la Tradition avec un grand T, comme si les autres Eglises ne disposaient d’aucune autorité apostolique. Elle se réfère aux conciles œcuméniques mais elle nie l’existence du concile de Florence qu’elle a pourtant reconnu longtemps comme un concile œcuménique et elle explique encore moins pourquoi cette tradition conciliaire s’est éteinte en son sein. Et en plus elle prétend ne pas vouloir convertir au byzantisme culturel alors que la référence liturgique au style byzantin est la marque distinctive aujourd’hui de l’orthodoxie grecque, arabe et slave. Et surtout elle s’identifie à l’orthodoxie de la foi, alors que chaque Eglise du Christ aujourd’hui se réfère à l’orthodoxie de sa foi. L’Eglise orientale en revanche est bien la seule à avoir identifié sa foi à son organisation institutionnelle. Mais ceci doit aujourd’hui être contesté si on veut sincèrement sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent les Eglises orientales qui se veulent universelles.
Comment sortir de cette impasse ?
Je ne souhaite pas commenter plus avant le texte. J’en ai dit assez sur ses limites et sur le problème qui consiste à identifier l’orthodoxie à l’institution et non pas à la foi, et ensuite sur la fixation de la foi authentique à sa seule compréhension comme mémoire fidèle aux conciles œcuméniques. Je précise du reste, si cela peut nous consoler, que les limites de ce texte ne sont pas propres aux théologiens du patriarcat œcuménique qui ont participé à la rédaction de ce texte (dont certains m’ont dit qu’ils étaient eux-mêmes conscients de ses limites). D’une certaine façon, c’est l’ensemble des Eglises du Christ qui traversent aujourd’hui une profonde crise d’identité comme on peut le voir à travers la succession de crises qui traversent les Eglises catholiques ou anglicanes par exemple.
Comme je l’ai expliqué dans plusieurs livres et notamment « Qu’est-ce que l’orthodoxie?», «En attendant le concile de l’Eglise orthodoxe» et plus récemment « Qu’est-ce que l’œcuménisme ? », la crise de la foi orthodoxe est une crise plus large qui concerne le paradigme même de la Modernité qui a scindé la rationalité conceptuelle et la croyance religieuse. Au Moyen Age, la metaphysique fut divisee en metaphysique generale (centree sur l'etre) et en metaphysique speciale, dont les objets sont le monde (cosmologie), l'aime (psychologie) et Dieu (theologie). La métaphysique moderne en est venue à accorder à la philosophie et aux sciences le domaine du comment tandis que l’espace existentiel du pourquoi était réservé à la théologie. Le résultat selon Heidegger en fut que le discours philosophique a cru possible d’objectiver l’Être divin et de le posséder par la puissance de la technique.
De son côté la théologie, coupée de la réflexion libre provenant de l’amour de la Sagesse, s’est réfugiée progressivement dans le paradigme de la mémoire fidèle (au pape pour ceux qui vont commencer à se désigner comme catholiques romains à partir du XVIe siècle, aux Ecritures pour ceux qui vont se désigner comme luthériens, calvinistes ou anglicans ; enfin aux conciles œcuméniques pour ceux qui après avoir cédé le pouvoir aux Tatars puis aux Ottomans vont progressivement se désigner comme catholiques-orthodoxes puis, simplement au XXe siècle, comme orthodoxes). Comme l’a montré le père Serge Boulgakov, très tôt, dès le IXe siècle, dès la célébration du triomphe de l’orthodoxie en 843, c’est- à-dire dès la énième victoire des chrétiens orthodoxes sur les iconoclastes, les iconodoules n’avaient comme principal argument pour étayer leur intuition authentique de la vénération des images saintes que celui d’imiter leurs pères dans la foi du premier concile de Nicée.
Cette identification entre l’orthodoxie de la foi et la mémoire fidèle a figé les Eglises en institutions auto-centrées et oublieuses de leur mission fondamentale de préparer la venue du Royaume de Dieu sur la terre. Or le gouvernail de la foi, c’est-à-dire la capacité à participer au Royaume de Dieu dès ce monde, en Christ et dans l’Esprit, de tout son être, de toute son intelligence et de tout son amour, ne peut se limiter à la mémoire fidèle et à l’obéissance aux institutions. Historiquement et originellement le gouvernail de la foi s’est compris certes comme mémoire fidèle mais aussi comme juste glorification, vérité droite et connaissance de justice. C’est pourquoi aujourd’hui retrouver toute la puissance de la foi, réapprendre à voir le Royaume au milieu de nous, c’est tenir ensemble les 4 composantes de la foi-raison, à savoir d’un côté la loi et la justice et de l’autre la gloire et la mémoire.
C’est toute la force de l’Eglise orientale que de le rappeler au moment de la fête de la Transfiguration par la vénération de l’icône qui présente le Christ en gloire entouré de Moïse (la loi) et d’Elie (la justice) avec à son sommet la gloire du Père et à ses pieds les trois apôtres Pierre, Jacques et Jean qui représentent chacun trois éclats de cette gloire (la fidélité, le témoignage et la vision). Mais c’est aussi toute la faiblesse de l’Eglise orientale de s’être figée dans l’eschaton, dans la fin mystique de l’histoire, en oubliant, - comme le disait John Erickson au père Alexandre Schmemann -, que l’eucharistie sacramentelle n’est que l’avant-goût du Royaume de Dieu sur la terre. Une métaphysique renouvelée, pleinement eschatologique, est en mesure de percevoir le « déjà là » du Royaume et simultanément de préparer le « pas encore » des noces divino-humaines.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement en termes de positionnement dans l’histoire, d’incarnation dans l’histoire de nos Eglises ? Les Eglises d’Orient doivent dans un premier temps accepter de traverser elles-mêmes le chemin d’humilité qu’elles confessent dans la foi ? Ceci signifie en particulier qu’elles doivent oser procéder à des jugements douloureux par rapport à leurs propres engagements passés. En particulier pour l’Eglise russe, ceci implique qu’elle doit reconnaître et condamner sa collaboration avec les régimes soviétique et post- soviétique. Mais les autres Eglises doivent entrer elles-mêmes dans ce jugement de leur propre passé impérial comme le suggèrent aujourd’hui des penseurs chrétiens orthodoxes comme Pantelis Kalaitzidis et Aristotle Papanikolaou. La symphonie byzantine, même si elle a pu évoluer dans le temps, fut un grand péché historique, comme l’a reconnu en son temps le père Schmemann, et doit aujourd’hui faire l’objet d’une condamnation conciliaire.
Cela signifie également que les Eglises d’Orient revenues à l’humilité de leur condition doivent retrouver le chemin du dialogue et des processus conciliaires avec l’ensemble du peuple de Dieu, comme cela a pu être le cas lors de la préparation du concile de Moscou de 1917-18. Aujourd’hui cela implique que ces Eglises doivent travailler également étroitement avec des observateurs de bonne volonté venant des différentes Eglises du Christ. Ce travail ne manquera pas de déboucher sur des réformes tant attendues par quantité de chrétiens qui sont partis sur la pointe des pieds depuis des années, de l’implication des femmes dans l’Eglise à la redécouverte de nouvelles formes de ministères dans la vie du monde. Il faudra s’armer de patience et d’amour. Par exemple en aidant les deux Eglises orthodoxes en Ukraine à oser se dire la vérité, à faire justice des erreurs du passé et à se réconcilier. Il conviendra aussi de les aider à retrouver leur histoire commune avec les autres Eglises chrétiennes présentes en Ukraine, à commencer par l’Eglise grecque-catholique.
Enfin cela impliquera que les Eglises sortent de l’hiver œcuménique dans lequel elles se trouvent actuellement. Comme il est dit dans l’évangile (Jn, 12), le Christ a affirmé que lorsqu’il sera élevé de terre, il attirera tous les hommes à lui. Ceci implique que nos Eglises ne se comprennent pas uniquement de façon biologique ou institutionnelle comme « Corps du Christ », là où selon saint Paul la main ne peut agir sans coordination avec les autres membres, mais aussi comme « Temple de l’Esprit Saint », là où l’Esprit souffle sans limite, comme « Arche du salut », là où les frontières de la grâce permettent dès à présent de participer à la transfiguration de ce monde, et comme « Maison du Père » là où le Père fait lever son soleil sur tous, les bons comme les méchants. Ceci en retour aidera les Eglises d’Orient à réapprendre à aimer et à enseigner le droit.
Finalement ce n’est qu’une conception mystique, divino-humaine, et non pas orgueilleuse de l’Eglise, qui permettra de saisir cette finale de l’Apocalypse : « L’Esprit et l’Epouse disent : ‘Viens !’ Que celui qui entend dise :’Viens !’ Et que l’homme assoiffé s’approche, que l’homme de désir reçoive l’eau de la vie gratuitement ». (Ap, 22, 17).
Conclusion
J’ajoute pour finir que les chrétiens orthodoxes ne doivent pas craindre de s’engager dans ce chemin d’humilité et de réforme. D’abord parce qu’ils ont toutes les ressources en Dieu pour y parvenir. A d’autres moments de l’histoire, comme à l’époque des persécutions soviétiques, la situation de l’Eglise paraissait très critique. Et pourtant les chrétiens ont trouvé les moyens de vaincre les persécutions et les divisions. De grands saints se sont levés au cœur des ténèbres comme le père Alexandre Men ou la mère Marie Skobtsov, citée à juste titre à plusieurs reprises par le texte « Pour la vie du monde ».
Ils ne doivent pas craindre de faire preuve d’audace. Le risque pour l’Eglise d’Orient c’est qu’elle se transforme en musée byzantin, comme le craignait déjà Vladimir Soloviev, qu’elle perde tout contact avec le réel, qu’elle ne soit plus en mesure d’apporter le salut à ses fidèles, sur un plan pleinement sacramentel, c’est- à-dire autant symbolique qu’existentiel, qu’elle disparaisse en définitive de la préoccupation des êtres humains.
Pour proposer un nouvel éthos social et environnemental au monde, l’Eglise orthodoxe doit retrouver toute la profondeur de la foi-raison mise en application par le Christ dans l’évangile. Rappelons que très longtemps, jusque dans les années 1960, les Eglises orientales se sont définies comme orthodoxes- catholiques. Le métropolite Petro Mohyla a publié au XVIIe siècle une Confession de foi, adoptée par l’ensemble des Eglises orientales, qui s’adressait à « l’homme chrétien orthodoxe-catholique ». La dogmatique publiée en 1966 par le théologien grec Panayotis Trembelas, s’intitulait Dogmatique de l’Eglise orthodoxe- catholique. Pour les orientaux, la nature de l’Eglise est de se conformer au tout de la vie trinitaire tandis que le gouvernail de la foi consiste à disposer de « la garantie des biens que l’on espère et de la preuve des réalités que l’on ne voit pas » (Hébreux 11,1). C’est l’orthodoxie de cette foi qui permet, selon le symbole de Nicée-Constantinople, de croire en «l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique ». Cette méta-rationalité, cette epignosis, nous donne l’humilité de ne pas nous comprendre comme étant déjà cette Eglise divino-humaine. La foi chrétienne orthodoxe nous donne la joie de participer dès à présent à l’avènement de l’Eglise du Dieu vivant.