Православный Приход Сретения Господня

СОВРЕМЕННОЕ БОГОСЛОВИЕ

La « Théologie du confinement » et les grandes antinomies de la Foi

L’épidémie du coronavirus COVID-19, qui a mené à la déclaration officielle de la pandémie, et par conséquence, à la fermeture des lieux de cultes, a été la source de beaucoup de problématiques à la conscience chrétienne. Au sein de l’Église Orthodoxe cela a suscité des débats sur les raisons spirituelles de cette épidémie, et des discussions à propos des mesures strictes, notamment l’arrêt des offices religieux publics.

Quoi que l’on pense de l’aspect politique et de toutes ses implications, il faut reconnaître que la pandémie est bien réelle. Par rapport aux causes spirituelles je ne peux que répéter certaines phrases de mon homélie de Pâques, en faisant référence à St. Nicolas de Serbie (d’Ochrid), qui en partant de l’étymologie du mot grec « crysis », dont le sens est « jugement », « acte de jugement » nous propose de percevoir toute crise de ce monde (politique, économique, sanitaire ou écologique) comme le jugement Divin pour nous rendre la raison 1.

Comme on le sait, le jugement Divin commencera par l’Église (Apocalypse, chapitres 2 et 3), et il n’est pas surprenant que les mesures sanitaires gouvernementales ont directement touché notre vie ecclésiale. Dans le concept historiosophique de St. Nicolas (Velimirovitch) peu importe de quel jugement Divin il s’agit, le Jugement Dernier ou le jugement de la génération en question. Le mot « jugement » effraye les chrétiens d’aujourd’hui, et surtout s’il s’agit du Dernier, lié à au retour du Christ, tandis que les premiers chrétiens étaient dans l’appel apostolique « Viens, Seigneur ! » (Maran-atha !) (1. Cor.16 :22).

Ayant un esprit juridique nous avons pris l’habitude de séparer l’idée du jugement et de la miséricorde, mais dans la tradition biblique ces concepts représentent une antinomie « je chanterais ta miséricorde et ton jugement, Seigneur » (Ps. 100 :1).

Maintenant que le déconfinement est annoncé dans plusieurs pays, y compris en France, les églises ne tarderont pas à rouvrir. Il reste le danger de la propagation du virus, et le clergé a une mission difficile – reprendre les offices, et en même temps trouver un moyen de protéger les laïcs.

Les débats sur les mesures à adopter après le déconfinement ont divisé la majorité les croyants en deux camps opposés : les uns soutiennent le discours selon lequel la peur du virus découlerait d’un manque de foi, les mystères de l’Église, les objets du culte (la Croix, les icônes etc.) et l’espace sacré de l’église nous protégeant de tout ; que les chrétiens doivent se donner entièrement à la volonté Divine, continuer les célébrations sans prendre la moindre précaution, et surtout communier régulièrement, en exprimant leur confession de Foi ; et dussions-nous tomber malade - ce serait selon nos péchés et selon la volonté Divine. La réponse de l’autre camp est la suivante : « tu ne tenteras pas ton Dieu » (Mt 4 :7),« Le Seigneur n’habite pas des temples construits par la main des hommes » (Act. 17 :24). Cette réponse insiste sur l’importance de garder la Foi et la relation spirituelle à la tradition de l’Église des siècles passés, notamment la tradition monastique, qui ne connaissait pas l’Eucharistie régulière. Ainsi la Ste. Marie d’Égypte n’a communié qu’une seule fois de sa vie : cela voudrait donc dire que nous pourrions nous abstenir de la prière en communauté et de la participation Eucharistique, afin de ne pas tomber malade.

Mais peut-être tout le problème se situe t-il dans la Foi ? (Mt 17 : 20) Ainsi le Seigneur ne demandait que la Foi aux malades comme condition de leur guérison. (Mathieu 9 :29 ; Marc 9 :24 ; Luc 8 :48-50) Et cette Foi dans ces passages est purement personnelle. D’un côté nous connaissons des exemples de guérisons selon la Foi, commençant par les Évangiles. L’histoire de l’Église est pleine de miracles par les prières des saints, dans les sources saintes, près des reliques, nous connaissons des processions de Croix qui ont arrêtés des épidémies. Mais à côté de cela nous voyons dans les Évangiles que le Christ choisit les malades afin de les guérir, Il n’a pas guéri tous les malades d’Israël, et ce ne sont pas tous les malades qui guérissent près des reliques ou des sources saintes. L’histoire de l’Église est aussi pleine de malheurs, y compris d’épidémies, qui frappaient par la mort des monastères, villages et villes entières. Peut-on dire, pour autant, que c’est parce qu’ils n’avaient pas la Foi ?

La Foi est une ferme assurance dans l’invisible ( Heb. 11 :1), mais jusqu’à quelle limite va notre certitude et en quoi consiste t-elle ? La plupart de nos prières ne sont que des supplications, et nous espérons que Dieu nous entend. « Demandez, et on vous donnera » (Mt 7 ;7), « ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera » ( Jn 16 :23). Et voilà, le Seigneur Lui-même ayant entendu la demande de la mère et des fils de Zebedée , leur a répondu : « vous ne savez pas ce que vous demandez » (Mt 20 :22)

Pour dire plus simplement, il faudrait alors se poser la question de savoir si notre assurance, notre Foi, nos prières et notre volonté personnelle correspondent bien à la volonté Divine. Est-ce que notre Foi correspond réellement à celle de l’Église 2 ?

Pendant l'évangélisation de l'Empire Romain l’Église a au la nécessité d’adapter son enseignement dogmatique et la structure de l’Église à la civilisation Gréco-Romaine. C’est ainsi que les vérités bibliques exprimées en images de culture judaïque ont été interprétées dans les catégories de la philosophie grecque, et la structure ecclésiastique, ayant l’Eucharistie pour l’origine, a subi l’influence du droit Romain.

Les fondements de l’enseignement dogmatique, formulés par les théologiens dans des formules apophatiques et cataphatiques ont ouvert plusieurs antinomies de la Foi, où la vérité est présente dans des affirmations véridiques mais aussi contradictoires, par exemple le dogme d’un Seul Dieu Unique et à la fois Trinitaire et le dogme christologique de l’incarnation.

Grosso modo, toutes les vérités de la révélation Divine sont antinomiques !

L’être humain est autonome jusqu’à la possibilité de renier son Créateur, mais l’autonomie de l’Homme est limité par sa nature. Le Créateur est transcendant par rapport à la création et l’Homme, mais en même temps l’Homme est crée à l’image de Dieu, et en entrant dans l’Église, par le Christ, il entre en communion avec la nature Divine. (2 Pr 1 :4). Le sacrifice du Seigneur sur la Croix est le Jugement du monde déchu (Jn 9 :39 ; 12 :31) mais aussi est l’amour de Dieu envers le monde (Jn 3 :16,15 :13)- ceci est une grande antinomie du dogme de La Rédemption.

Les Pères de l’Église n'ont pas définis le dogme par rapport à l’Église même, mais il est clair que toute l’ecclésiologie est antinomique, car en découle du dogme christologique. L’Église est le Corps du Christ et la plénitude du Saint Esprit ( Eph. 1 :23), d’où l’Église- est un organisme divino-humain 3. L’antinomie de l’histoire et de l’eschatologie est très visible dans la vie ecclésiale elle-même : L’Église dans l’histoire apparaît comme un corps mutilé et crucifié, comme celui du Seigneur sur la Croix. Dans l’eschatologie, l’Église apparaît comme le corps transfiguré et incorruptible du Christ Ressuscité. L’Église est unique, mais Elle est présente en deux dimensions, dans ce monde et dans l’éternité. Le Salut s’est passé à Golgotha, mais le chemin de Salut de chacun d’entre nous se fait lentement dans l’écoulement du temps historique de l’Église.

Et une fois de plus on tombe sur une antinomie de la sotériologie : personne ne sera sauvé par les œuvres de la Loi ( Gal 2 :16), mais en même temps « la foi sans les œuvres est morte » (Jc 2 :26). Le Salut est un don de Dieu. Le Seigneur appelle les hommes à accepter volontairement ce Don, mais cette acceptation demande l’effort de l’Homme, ayant reçu le Don du Saint Esprit, on doit le faire enflammer et le maintenir (2 Tmt 1 :6), obtenir le Saint Esprit, selon la parole de Saint Séraphin de Sarov. Mais, dans cet effort, nous ne pouvons diriger la grâce Divine, car l’Esprit souffle où Il veut (Jn 3 :8). Malgré le fait que nos célébrations essaient de sanctifier tout moment de la vie de l’Homme et de toute la Création, et que nous demandons à Dieu de donner Sa grâce pour toute chose, nous ne pouvons ordonner à Saint Esprit ce qu’Il doit faire, on ne peut commander Dieu !

Nous Le prions de nous garder des tentations, on souhaite vivre sous Sa protection, mais l’Écriture ne mentionne aucune promesse ou témoignage historique de vie de l’Homme infinie et sans problèmes dans son état actuel. Les justes tombent malades et meurent, même si Dieu exauce leurs prières.

Le Seigneur promet aux fidèles la Résurrection et la vie éternelle à la fin de l’histoire humaine, mais dans cette vie Il nous appelle à porter chacun sa Croix (Mt 16 :24 ; Lc 9 :23 ; Mc 8 :34), et cela sous-entends les épreuves de toutes sortes, y compris des maladies, et la lutte contre les péchés. D’une certaine manière tout chrétien doit faire le chemin du Christ, monter sur son Golgotha, et y laisser son âme pour son prochain d’une manière ou d’une autre. Mais est-ce que le Seigneur veut la mort du pécheur (Éz. 33 :11 ; 2 Pr 3 :9 ; 1 Tmt 2 :4), et qu’Il demande de vains sacrifices ? (Mt 9 :13)

Certes, nous connaissons les cas de prêtres qui dûrent rentrer en contact avec des malades contagieux et qui ne tombèrent pas malades pour autant. Toutes les guérisons qui ont eu lieu par les prières des saints ou par les sacrements de l’Église – c’est la réponse de Dieu, mais on ne peut obliger la grâce Divine de se soumettre à nous et rendre aux miracles une sorte de normalité, ce serait de la magie, et non de la Foi. On sait, à partir des Évangiles, qu’à chaque fois que le Christ accomplissait une guérison, ou un autre miracle cet événement avait un sens concret, et cela continue dans la vie de l’Église jusqu’à aujourd’hui. La conviction que le Seigneur doit absolument nous protéger de l'épidémie s'apparente à l'exigence d'un miracle, à l'exigence de «descendre de la Croix». Derrière tout cela se cache aussi un refus de porter notre croix, car la pandémie en soi est notre Croix commune à tous.

L’Apôtre Paul a enseigné aux chrétiens la nécessité de s’entraider dans les malheurs (Gal. 6 :2), donc la véritable confession de Foi dans cette période de crise sanitaire consiste à prendre soin du prochain. Nous sommes en plein dans l’antinomie de la Foi et de la raison. Porter sa croix pour un chrétien est toujours un mouvement entre la peur et l’espoir.

Et c’est dans cette même clé antinomique que l’Église explique la présence de la grâce divine dans les sacrements de l’Église, et notamment celle de l’Eucharistie. Les Saints Dons sont d’une nature divino-humaine, car ils sont le Corps et e Sang du Christ. Le dogme Eucharistique dit que le pain et le vin ne sont pas seulement l’image du Corps et du Sang (surtout pas !) mais ils sont - le Corps et le Sang du Seigneur 4. Ce dogme exclue la possibilité de percevoir l’Eucharistie seulement comme une icône, un souvenir 5.

Malgré l’utilisation des nombreux termes spécifiques (« μεταβολή », « μεταποίημα », ou encore le terme plus répandu dans le monde catholique-romain "transsubstantiatio" 6 formulé par Thomas d’Aquin, « transfigurantur » ou encore « mutatur » par St.Ambroise de Milan) pour essayer d'expliquer rationnellement comment le pain et le vin se transfigurent dans le Corps et le Sang du Christ, l'union du Divin et de la création reste un grand et inconcevable mystère pour la raison humaine. Plusieurs Pères de l’Église en parlent, en limitant l’explication au fait que ce grand sacrement s’opère par le Saint Esprit.

Le pain et le vin – sont les symboles de la vie depuis des millénaires, ce sont des objets matériels qui font partie de la création, et ils se joignent au Divin. Nous ne pouvons donner d’explications rationnelles sur cette union, mais en même temps, on ne peut pas la qualifier de simple transformation magique au moyen de laquelle le pain et le vin se dématérialisent ; Les Saints Dons sont le Corps et le Sang du Christ, mais ils gardent aussi leurs caractéristiques naturelles initiales (empiriques) , même après la sanctification des Dons 7.

Tout prêtre connaît les procédures ordonnées par l’Église dans le cas où les Saint Dons Présanctifiés auraient moisis, et de cela on peut constater que le pain et le vins restent soumis aux lois de la physique de ce monde 8. Le fait de communier aux Saint Dons en guérison de l’âme et du corps, dans la tradition patristique sous entends avant tout la guérison de notre nature corrompue par le péché, mais l’Eucharistie n’a jamais été perçue comme une pilule magique contre toutes les maladies.

L’Eucharistie est à la fois en rapport avec le Sacrifice du Christ et avec le festin du Royaume. Ceci est encore une antinomie, tout chrétien qui communie aux Saints Dons devient participant de la nature Divine, et nous prenons la Communion comme la levure du Royaume à venir, et en même temps continuons à porter notre croix dans ce monde, nos corps restent corruptibles , quand bien même portent-ils en eux les graines de Résurrection 9, et il sera ainsi jusqu’à la fin des temps. Le mystère de la plénitude des temps, le mystère de notre port de la croix, le mystère de la providence Divine (2 Pierre 3 :9), c’est le mystère de la plénitude de l’Église, le mystère de « soumission du Fils » (1 Cor15 :28) 10.

Nous devrions approcher notre problème actuel sous deux aspects, c’est-à-dire et avec la Foi et avec la raison, sans exclusion. La pratique de la transmission des offices en streaming sur internet ne résout pas le problème de la non-participation des fidèles à la Communion Eucharistique, et, involontairement, on peut dire cela les encourage de ne plus y participer, ce qui est contraire au principe ecclésiologique fixé dans les canons (VI Concile Œcuménique, canon 80).

C’est pour ça que l’Église doit en tirer des conclusions à partir de la situation donnée et chercher tout les moyens possibles de donner l’Eucharistie aux fidèles. Il faut, bien sûr le faire de façon raisonnable, l’Église a une grande expérience historique, et nous pouvons retrouver toutes les solutions nécessaires.

La tradition chrétienne Orientale de faire communier les fidèles à partir de la même cuillère («лжица» en slavon) devient un sujet de débat dans ces nouvelles conditions. On connaît des mesures prises dans d’autres Églises locales, par exemple la désinfection de la cuillère par du alcool 70% après chaque fidèle ( la pratique recommandée par le patriarcat de Moscou), ou bien utiliser des cuillères à usage unique ( cette pratique a été mise en place dans le patriarcat de Roumanie), ou bien encore la distribution de la Communion selon la liturgie de l’Apôtre Jacques ( la métropole du patriarcat Œcuménique en Autriche) 11.

Mais même avec ces mesures prises, les médecins préviennent que le risque de contamination est toujours là, car ce virus passe de l’homme à l’homme par voies respiratoires.

La Tradition est par définition un concept conservatoire, mais la tradition n’est pas une forme pétrifiée, momifiée, la tradition est vivante et elle témoigne de la vie de l’Église. La tradition liturgique est la plus ancienne, mais l’histoire de l’Église démontre elle-même que la tradition liturgique change, en particulier les pratiques de piété, aussi en fonction des peuples, du contexte historique et des conditions sociales 12.

La manière de donner la Sainte Communion aux fidèles par le biais de la cuillère est en réalité un pratique assez tardive, qui s’est affirmée partout pas avant le VII siècle, et selon certains historiens pas avant me IX siècle 13. L’apparition de cette pratique est due au contexte historique quand le christianisme est devenu une religion d’État de l’Empire Romain, ou l’idée de la Rome éternelle a grandi jusqu’à l’idée d’un Empire théocratique. Le processus d'évangélisation de l'Empire a commencé au IV-éme siècle, lorsque des foules d'anciens païens ont rempli l’Église, parce que le pouvoir suprême a favorisé l'Église, et la construction active des églises a commencé, tout cela a conduit à ce que l'Église a dû développer un nouveau concept de culte. Les offices ont pris un caractère mystériel pour plonger les fidèles dans une atmosphère de peur sacrale, avec une forte polarisation du sacré et du profane, ce qui a entrainé une division du peuple de Dieu en deux castes, les consacrés (le clergé) et les profanes (les laïcs) 14.

Tout cela a laissé des traces profondes dans la piété, et s’est exprimé avant tout dans une façon différente de communier aux Saints Dons pour le clergé et pour les laïcs. La participation à l’Eucharistie à chaque liturgie devient une norme, mais seulement pour les membres du clergé, et vis-à-vis les laïcs la stratégie dominante consistait en une approche individuelle, qui demandait une préparation spécifique, de même que le fait de « choisir » le laïc qui en serait « digne ». Par conséquence, les laïcs participent rarement l’Eucharistie au Moyen âge, tout en allant à l’église toutes les semaines.

La situation n’a commencé à changer dans les patriarcats Orientaux qu’au XVIII siècle seulement, grâce au du mouvement missionnaire des colyvades, qui appelaient à la participation régulière à l’Eucharistie des laïcs 15. La renaissance liturgique a atteint l’Église de Russie seulement à la fin du XIX siècle 16, et a continué dans l’émigration russe au XX-ème siècle 17.

L’Église ancienne ne connaissait pas cette division entre « les initiés » et les « non-initiés » parmi les baptisés, la place du président et de tout membre de l’assemblée Eucharistique se définissait en fonction des ministères de chacun, tout en gardant la doctrine évangélique du sacerdoce royal de tous les fidèles. Tout le monde communiait ensemble à chaque divine liturgie, et la manière de recevoir les Saints Dons était la même pour le clergé que pour les fidèles : ils recevaient les Dons dans les mains, ce dont témoignent les écrits anciens, ainsi que les résultats de recherche scientifique sur l’histoire de l’Église primitive.

Pendant longtemps il n’y avait qu'une assemblée Eucharistique dans une ville, la multiplication des croyants au II et III-ème siècle a conduit à la création des communautés paysannes, ainsi que le ministère des chorévèques, et ensuite les presbytres sont devenus des célébrants autonomes. Cependant, pendant très longtemps jusqu'au IV-éme siècle, dans un certain nombre de villes, l'ancienne structure de l'Église avec une seule communauté a été préservée, qui envoyait Les Saints Dons aux petites communautés rurales 18.

En plus de cela, les Saints Dons étaient donnés aux malades. Les chrétiens qui se cachaient pendant les persécutions avaient les Saints Dons chez eux, d’autres fidèles prenaient les Saints Dons avec eux lors des voyages lointains. La théologie conservatrice tente d’ignorer les témoignages historiques de ces faits et critique les conclusions des théologiens qui défendent la renaissance eucharistique, comme une interprétation arbitraire, créant une reconstruction pas tout à fait fiable de cette époque. Pourtant même un théologien très conservateur du XIX siècle, le métropolite Macaire (Boulgakov), souvent critiqué pour son approche scholastique, ne doute pas de ces faits historiques 19. Il évoque aussi que les ermites anciens emmenaient avec eux les Saints Dons dans le désert.

Durant le Moyen-Âge s’est développée une forme d’auto-communion des ermites avec les Dons Présanctifiés, qui était assemblé avec l’ordo de « La repentance en ermitage », et les deux étaient accessibles aux moines sans la présence de prêtre. Cette pratique est mentionnée par le St. Siméon de Thessalonique (XV siècle), et elle était répandue en Bulgarie et en Russie jusqu’au XVI siècle. A la fin de l'époque, ces rites étaient recommandés pour être pratiqués en cas de risque de décès 20.

Le simple fait que l’auto-communion des ermites a eu lieu confirme, une fois de plus, que la piété liturgique peut avoir des formes différentes en fonction des conditions historiques et sociales.

Actuellement, nos conditions sont très différentes de celles de l’Église à l’époque impériale. De plus, nous devrions adapter notre vie ecclésiale à la condition de confinement et de deconfinement. C’est pour cela, dans ces conditions inhabituelles, en plus de respecter les mesures imposées par l’État, l’Église peur aussi revenir à une pratique ancienne de transmission des Saints Dons directement dans les mains des fidèles, tout en respectant les gestes barrières et les règles canoniques. On peut aussi distribuer les Saints Dons Présanctifiés 21 prévus pour les malades et détenus, qui ne peuvent participer aux liturgies.

Nous ne savons pas quelles épreuves nous attendent dans l’avenir, et comment va évoluer la crise sanitaire. C’est pour cela qu’en cas de nouvelle impossibilité de maintenir les offices publics , il serait raisonnable de renouveler l’ancienne pratique de distribution des Saints Dons aux fidèles, afin qu’ils les préservent chez eux.

Nous pouvons aussi donner des indications précises sur la conservation et la consommation des Saint Dons 22. Je suis persuadé que la pratique ancienne de distribution des Saints Dons peut être retenue non seulement en cas des pandémies, mais dans d’autres cas. Il serait indispensable de modifier, ou bien créer un nouvel ordo d’auto-communion des fidèles en cas de maladies infectieuses, quand le prêtre n’a pas le droit d’accès à l’hôpital, et dans les cas où les fidèles vivent dans les pays et des lieux où il n’ y a pas de prêtre ou il vient très rarement (1 ou 2 fois par an).

Cette pratique peut aussi concerner les fidèles qui travaillent en milieux fermés sans droit ou possibilité de dispense et qui ont des professions dangereuses (la marine, expéditions scientifiques, militaires, ) et aussi concerner les ermitages où il n’y a pas d’hieromoine.

Dans tous ces cas l’auto-communion des laïcs peut être exceptionnelle « par peur de mourir », sans pourtant être sur leur lit de mort, mais l’Eucharistie pourrait donner la force spirituelle de porter leur croix dans leurs conditions spéciales de vie et de travail. Ce serait un véritable geste de soin et de consolation de la part de l’Église.

Certains peuvent dire que l’accès des laïcs aux Saint Dons risque de « banaliser » l’Eucharistie, ou accuser d’agir semblablement aux catholiques-romains, ou bien encore, de qualifier les fidèles d’indignes ou de non-initiés. Mais ce genre d’arguments n’est pas sérieux : il s’agit soit d'une spéculation consciente, soit d’une méconnaissance de l’histoire de l’Église et d’une vision erronée de la nature du sacré. L’antinomie de l’incarnation Divine est fondée sur l’apparition de Dieu dans ce monde, rempli de péché.

D’autres insistent sur la confession obligatoire le jour ou la veille de la Communion, mais la liaison de ces deux sacrements n’a aucune origine théologique, sacramentelle ou canonique. Quand l’Apôtre Paul parlait de se mettre à l’épreuve avant de participer dignement à l’Eucharistie (1 Cor. 11 :28-29) il ne parlait pas de la confession sacramentelle sous sa forme actuelle.

L’Église ancienne ne connaissait tout simplement pas l’ordo de la confession privée, mais cela ne veut pas dire pour autant que ces chrétiens ne connaissaient pas le repentir. La confession intime se développe et se met en place progressivement au Moyen-Âge sous forte influence de la tradition monastique et rentre dans la préparation à la Communion, mais il n’y a jamais été formée de liens canoniques obligatoires entre les deux ni à Byzance, ni en Russie de Kiev, ni en Moscovie.

À l'époque la confession se faisait séparément de tout et en dehors des offices et très scrupuleusement, en Orient la mission de confesser a été confiée aux confesseurs-moines du district local, en Moscovie s’est formée une tradition spéciale des confesseurs paroissiaux, cependant, la discipline pénitentielle limitait souvent davantage la participation des fidèles à l'Eucharistie 23.

Le nœud marin entre la confession et l’Eucharistie est apparue à la période synodale de l’Église Russe (Empire russe, la capitale de Saint-Pétersbourg ) à cause des conditions sociales et politiques du moment. La pensée orthodoxe russe a fini par donner un statut de commandement à cette pratique, et on peut retrouver ce genre d’indications dans les catéchèses, instructions, ce qui a influencé par la suite les Églises locales voisines 24. Mais tous ces nouveautés de la période synodale de l’Église Russe n’ont jamais étés adoptées dans les patriarcats Orientaux.

S’il fallait accepter cette nouvelle logique sacrale de « dignité » – comment peut-on expliquer que les membres du clergé, ayant un rôle centrale dans l’office liturgique, n’ont pas besoin de confession obligatoire avant chaque liturgie, alors que les laïcs, qui ont un rôle passif, y sont tenus ?

J’espère que mes réflexions contribueront à trouver des solutions pour au moins une partie des conflits entre la tradition et les conditions historiques, la pratique de piété et les demandes sociales de l’Église.

Les pasteurs de l’Église doivent pouvoir réagir avec sagesse et efficacité aux défis du temps. Nous pouvons nous trouver un appui dans l’antinomie de la loi et de la grâce dans notre vie ecclésiale : on agit selon la loi seulement quand on manque de grâce, et vice-versa, « ce qui est impossible dans un ordre formel est possible dans un ordre de grâce » 25.

Archiprêtre Georges Ashkov

Traduction en français : Yustina Panina

 

 

[1] Nicolas (Velimirovitch) de Serbie, l’évêque d’Ochrid, Lettres missionaires, lettre 8

[2] Pourtant toute l’histoire de l’Église jusqu’à aujourd’hui est pleine d’épreuves de la Foi de l’Église même, par exemple, la division des chrétiens en plusieurs confessions

[3] Le père Eugene Akvilonov était le premier à évoquer le terme de « divino-humain » par rapport à l’Église dans le milieu académique. Ensuite ce terme a été utilisé par le St. Justin Popović, Vladimir Lossky, p. Georges Florovsky, p. Nicolas Afanassieff, p. Alexandre Schmemann, p. Jean Meyendorff, métropolite Jean (Zizioulas)

[4] Voir St. Jean Damascène, Une Exposition exacte de la foi orthodoxe

[5] Cette vision est fréquente chez certaines dénominations protestantes

[6] Le terme a été diffusé et confirmé par les conciles (Latran IV, 1215 , Tridentium, 1545-1563, Sess. XIII, cap. 4)

[7] Chez les Pères on trouve même des approches symbolqie (St. Jean Damascène, faisant référence à la vision de prophète Isaïe - "charbon brûlant"), « le fer rouge » de St.Nicolas Kabasilas. Le terme de « пресуществление » - «transsubstantiatio » apparaît dans la tradition orthodoxe tardivement, son utilisation a été initié par le Patriarche Gennadios II Scholarios (XV siècle), et a eu une large utilisation dans la confession de foi des patriarches Orientaux au XVII siècle (pendant la période de la polémique avec les protestants), et ce terme est critiqué par des théologiens orthodoxes comme p. Cyprien Kern (voir Eucharistie), p. Alexandre Schmemann ( L’Eucharistie, le mystère du Royaume), Christos Yannaras (La Foi vivante de l'Église, introduction à la théologie orthodoxe "Αλφαβητάρι της πίστης")

[8] Il arrive que les Saints Dons Présanctifiés moisissent si le sanctuaire est humide et peu aéré, et il existe des procédures qui aident la préservation des Saints Dons, mais s’il leur arrive de moisir le prêtre devrait soit les consommer avant que cela arrive, soit les détruire en les brûlant

[9] Il est nécessaire de comprendre l’incorruptibilité des reliques dans le sens ontologique, c'est-a-dire, la présence en eux de la grâce Divine, et non l'aspect biologique des restes du corps des saints (ossements, corps momifies etc).

[10] « Et quand toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a tout soumis, pour que Dieu soit tout en tous » (TOB); «cum autem subiecta fuerint illi omnia tunc ipse Filius subiectus erit illi qui sibi subiecit omnia ut sit Deus omnia in omnibus » (VULGATA) Y a-t-il eu un temps où le Fils était récalcitrant, qu'il devait aussi se soumettre au Père ? Le mystère de la soumission du Fils ne doit pas être recherché dans les luttes de Gethsémani. St. Jean Chrysostome, combinant les interprétations de ce texte et de l'épître aux Éphésiens, réponds« " Alors la Tête s'accomplira, quand le Corps parfait sera accompli "(Homélie sur l'épître de l'apôtre Paul aux Éphésiens). C'est le mystère de s'assujettissement de toute chose au Christ et celui du Christ, comme tête de l'Eglise, au Père. En d'autres termes, le Fils se soumettra au Père lorsque son Corps, qui est l'Église, sera parfaitement installé.

[11] Malgré certaines critiques sur la reconstruction moderne de cette ancienne liturgie, ce qui compte c’est la façon de distribuer la Communion aux fidèles, en excluant l’utilisation de la cuillère unique

[12] Voir Ашков Георгий, прот. Литургическая Традиция, 2004

[13] L’historien Sozomène attribuait la pratique de la cuillère à St.Jean Chrysostome, mais ceci ne se confirme pas par les historiens modernes, voir Meyendorff, Imperial Unity and Christian Division, The Church 450-680, p. 74 ; Robert F. Taft, Byzantin Communion Spoons : A Review of the Evidence//Dumbartoin Oaks Paers, pp. 209-238

[14] La fixation sur la peur du sacré a formé une vision déformée du sacré.

[15] St.Cosmas d’Etolie égal aux apôtres, St. Macaire de Corinthe, St. Néophyte Kavsocalyvite, St. Nicodème l’Hagiorite, St. Athanase de Paros etc

[16] Les représentants les plus marquants sont : St.Jean de Cronstadt, St.Alexis de Moscou, St. Anatole Zhourakovski

[17] Dont les personnes les plus connues- p.Nicolas Afanassieff et p.Alexandre Schmemann

[18] Voir p.N.Affanasieff, L'Assemblée eucharistique unique dans l'Eglise ancienne ; Mgr. J. Zizioulas, Being as communion

[19] voir Макарий (Булгаков) митрополит, Православно-догматическое богословие , т. 2, с. 412

[20] voir Алмазов, Тайная Исповедь в православной восточной Церкви, т. 2, с. 119-125; et Ашков Георгий, протоиерей, Духовническая дисциплина позднего средневековья на Руси , с. 189-195

[21] Dans ce cas, il est possible de présenter les Saints Dons sur un plateau, où chaque partie des Dons serait posée sur une serviette papier individuelle.

[22] A ma connaissance, cette pratique a déjà été mise en place par certaines paroisses en France pendant le confinement, les Saints Dons ont étés transmis au fidèles par les ministres des sanctuaires, y compris à ceux qui ne pouvaient se déplacer jusqu’à l’église. Les Saints Dons ont étés emballés dans les custodes (ciboires) fait-mains. Malheureusement, cette pratique n’aide pas à répondre à la nécessité de faire communier les bébés, mais au moins la transmission des liturgies en streaming serait justifiée, en donnant aux fidèles la possibilité de communier.

[23] voir Ашков Георгий, протоиерей, Духовническая дисциплина позднего средневековья на Руси

[24] Ibid.

[25] voir Афанасьев, Каноны и каноническое сознание

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Расписание Богослужений:


Суббота 2 ноября 2024 года Родительская суббота, память усопших. Исповедь - начало в 9-00 утра, Божественная литургия - начало в 10-00 утра. По окончании Службы Великая Панихида 

Samedi 2 novembre 2024 Samedi parental, memoire des defunts. Confession -  à partir du 9h00 du matin, Divine Liturgie -  à 10h00 du matin. A la fin du Service le Grand Service Commemoratif 


Суббота 23 ноября 2024 года - Память Великомученика Георгия. Исповедь - начало в 9-00 утра, Божественная литургия начало в 10-00 утра. По окончании братская трапеза

Samedi 23 novembre 2024 - Memoire du Grand Martyr Georges. Confession -  à partir du 9h00 du matin, Divine Liturgie à 10h00 du matin. À la fin du service - repas de fete